Covid-19 : Causes toujours
- AI for Citizen
- 9 avr. 2020
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Nos journées commencent par une conversation sur les masques FFP2. Se poursuivent sur la sensibilité des tests PCR, puis sur la disponibilité des tests sérologiques. L’Imperial College est convoqué. L’un de nous improvise une démonstration sur les effets de l’immunité collective. La priorité à donner au repositionnement de médicaments est posée. Et bien sûr, nous nous divisons sur le sujet du moment : peut-on prescrire la chloroquine sans essai clinique randomisé ? Nous sommes dans notre cuisine. En famille. L’evidence based medicine a pris la place des spaghettis.
Edgar Morin parle de « connaissance vulgaire » à propos de notre menu inattendu. Sans l’opposer à la connaissance savante, mais pour souligner le besoin de massifier la pensée complexe. Sous cet angle, le COVID apporte enfin une bonne nouvelle. Il percute à ce point nos vies qu’il est devenu un point de focalisation collectif, un aimant qui aspire toutes nos pensées. Dans ce nouveau référentiel commun se trouve un « bouillon de culture » inattendu, issu des sciences médicales.
La question la plus difficile, celle qui nous divise à table, est celle des causalités. Elle est la plus redoutable, car elle implique de penser un système. Elle est la plus essentielle aussi, car elle dicte les voies de sortie du confinement. Comment déterminer qui devra rester confiné demain si nous n’avons pas une vision des risques de contagion par âge, par métier, par ville ou encore par micro-sociétés ? Nous avons profusion de données sur le virus. Nous avons appréhendé son système. Mais nous sommes loin encore de l’étiologie– un mot de notre bouillon – du COVID 19. Et c’est pourtant notre principal enjeu.
« Corrélation n’est pas causalité ». L’impasse des mathématiques dites « bayésiennes », qui reposent sur la mise en relation de phénomènes, est à notre menu. On le sait rarement, nous sommes en train de dépasser cette impasse. La recherche a considérablement progressé ces dernières années sur la capacité à introduire des analyses causales à partir de données en vie réelle. Portée par Judea Pearl, prix Turing et figure tutélaire des réseaux probabilistes, cette recherche est l’une des conséquences inattendues de l’explosion de l’intelligence artificielle, dont elle a repoussé les limites. Ses méthodes sont d’une étonnante simplicité : la systématisation des diagrammes de causalité, qui permettent de tirer partie de la capacité d’intuition irremplaçable des humains, de faire la chasse aux variables d’auto-corrélation et recréer une logique contrefactuelle dans les bases de données.
L’avenir est à Judea Pearl. Il est bon de se souvenir que son inspiration vient de la science médicale, particulièrement des méthodes épidémiologiques établies dans les années 1970 pour établir les effets nocifs du tabac. Il fallait à l’époque contourner l’impossibilité, pour des raisons éthiques évidentes, de procéder à un essai clinique. Face au virus, nous n’avons certes pas cette difficulté, mais un problème de rythme. Grâce à la « révolution des causalités », les essais cliniques n’ont plus de raison de demeurer l’alpha et l’oméga de la recherche. Les données en vie réelle, à large échelle, charrient un potentiel énorme et complémentaire. A la condition bien sûr, que personne n’oublie la causalité au passage. Etienne Grass
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